Letra de Le Dos Courbe
Ca commence dans les années trente. L'Italie fasciste affiche ses litanies racistes. Qui n'est pas pour est contre. Soit on s'aligne, soit ils alignent. Des familles assistent à l'exil massif puis prises de panique s'avisent. Chacun quitte sa ville, jette les reliques de sa vie dans une trop petite valise. A pieds, on se risque sur les pistes de montagne via Modane depuis Varese. Puis, la peur aux tripes, on passe à l'Ouest, entre pics et falaises. Pour que les petits s'apaisent, on s'applique au rêve de revenir au bled, mais ni les mômes, ni leurs mères ne s'y prennent. Ils savent l'avenir en d'autres terres. Dans la nuit qu'ils observent, les hommes s'en obsèdent, n'aspirent en eux-mêmes qu'à retrouver un bout de sol fertile et ouvert - quête de vie nouvelle. De quoi tirer un peu de force pour que les petits poussent. Un peu de confort pour leurs épouses. "Les nôtres sont de braves gens" se disent-ils, "les nôtres ont bon cœur". Prions le Seigneur pour un monde meilleur, que les braves gens ne soient pas tous pauvres - prions le Seigneur. "Prions le seigneur pour que nos mômes connaissent l'ailleurs, qu'ils mangent comme les autres, prions le Seigneur". Et les gens d'ici se doutaient que les vents tourneraient, qu'un jour se trouverait où les prières stopperaient, qu'un jour tout près sonnerait la fin de ces gens au dos courbé.

Refrain
Nous aussi, on a dû parvenir à partir. Soif de futur.
Pleins de sutures, nos coeurs suppurent tant de haine. Pères de tumultes.
Quelques lignes pour se souvenir parce que l'insulte dure.

Entre ironie réac' et a priori, leur présence terrorise. Ça passe, en théorie, tant qu'on ignore que leur nom rime avec Cannelloni. Terre de "on dit". Là où ils n'espèrent qu'un toit, leurs moeurs n'inspirent que froideur. Leur Christ fait peur. Esprits railleurs. On les nomme Christos parce que trop prient. Ils n'ont rien d'autre sauf la rage des affamés. Cette flamme qu'il faut soigner de peur de voir l'espoir venir à faner. Les propriétaires les haïssent. Aussi gras et aigri qu'eux sont las et faiblissent. Savaient-ils ce dont on est capable lorsqu'on a faim soi-même face à un fat assez riche ? Si les vœux des uns sont confus, ceux des autres ne font pas de doute. Pensant que chaque friche est un crime, un péché contre des gens affamés, ils se voient déjà à bêcher, à retourner le sol le dos courbé.

Refrain

Là-bas, au pays, la misère grandissait, jetait quantité de familles aux vents de l'hiver, aux langues de vipères. Malgré ce que les gens disaient, les champs d'ici valaient leurs champs viciés mais, maintenant exilés, ils avaient tant misé qu'ils y avaient leurs jambes vissées. Le soir, les chants renaissaient. Leurs langues ne visaient que les landes laissées. C'est ainsi qu'ils ont reconstruit un peu de là-bas, ici, comme un banc d'essai. Leurs paumes se creusaient comme les mômes naissaient. Des mômes élevés dans l'amour de ce pays, frère du leur, blessé. Puis le temps a passé , que reste t-il de ces temps harassés ? Comme la terre s'est tassée, s'est effacée l'ombre avancée de leur sombre odyssée. Dans la traîne des années se perdent les valeurs nées de carrières de labeurs. Et nous, on se croit propriétaires de ce qu'offre l'Ether. Dans nos coeurs, les pleurs des Christos s'éteignent ; soixante dix ans s'achèvent. Je fais la prière que ma grand-mère ignore ce que les siens deviennent. De là-haut, qu'elle ignore qu'on accueille nos pairs comme on l'a accueillie hier. Et s'il n'en retient qu'un, qu'il retienne ce texte, mon petit frère. J'ai honte parce que je suis fier quand, pliant sous le poids de mes affaires certains soirs, je revois ces gens aux dos courbés couvrir les champs de notre histoire.

Refrain

(Merci à Vivien Fradin pour cettes paroles)